Atelier : "Développement Urbain"

en ligne, 24-26/11/2021


Dans le cadre du réseau européen Jean Monnet CECCUT (http://www.ceccut.eu), qui analyse l’initiative ECOC come outil de cohésion urbaine dans les espaces transfrontaliers, un atelier en ligne a été organisé les 24-25-26 novembre 2021 avec des universitaires et des acteurs impliqués dans des projets culturels et transfrontaliers. L’objectif de ces sessions étaient de discuter autour des thématiques du développement urbain et de la culture dans un contexte (trans-)frontalier.

L’initiative « Capitale Européenne de la Culture » (CEC) peut avoir un rôle majeur au sein d’une politique de transformation de l’image des villes et notamment de certains espaces apparaissant comme répulsifs. Cela est le cas notamment pour les villes perçues comme en déclin économique. Cette transformation de l’image s’appuie tout d’abord sur le développement d’événementiels culturels capables d’attirer l’attention à l’échelle nationale et internationale. Par ailleurs, ce changement repose sur une série d’aménagements de trois ordres :

  1. La réorganisation de lieux particuliers dans la ville : Ces lieux peuvent être des centres historiques comme par exemple le cœur troglodyte de Matera en Italie qui a représenté une honte nationale avant de devenir aujourd’hui un site de l’Unesco mis en valeur pendant l’année culturelle de 2019. Ces lieux sont aussi des sites plus périphériques comme des quartiers populaires à l’instar de celui de Wazemmes à Lille en 2004 ou d’anciennes friches industrielles comme par exemple celles mobilisées dans le cadre d’Esch-sur-Alzette (Luxembourg) en 2022.
  2. La représentation culturelle dans les lieux : Au sein de ces lieux réaménagés, voire au-delà dans la ville, une tendance s’affirme. Il s’agit d’une mise en visibilité de la culture dans les espaces du quotidien avec le développement du street art/urban art et l’installation de fresques murales comme par exemple à Charleroi en Belgique, à Esch-sur-Alzette ou encore à la frontière romano-serbe avec le projet « Mur qui murmure » à Teremia Mare. Ces projets permettent de changer le rapport à la culture dans la ville et d’engager un processus de communication entre les artistes et les populations locales des quartiers où les fresques murales sont installées.
  3. Un travail sur les connexions entre ces lieux : Les aménagements de réseaux ont pour but de reconnecter la ville par le développement culturel et faire ainsi tomber des frontières dans la ville. Ainsi, à Esch-sur-Alzette, une passerelle reliera le centre-ville et l’ancienne friche industrielle de Belval, spatialement isolée du reste de la ville, et des œuvres d’art devraient structurer ce parcours piétonnier et cycliste. Dans le même ordre d’idée à Marseille, CEC en 2013, des cheminements ont été mis en place dans la capitale phocéenne pour relier différents quartiers. De tels aménagements sont prévus également dans la CEC transfrontalière de Nova Gorica/Gorizia entre la Slovénie et l’Italie, des aménagements étudiés dans le cadre du projet de recherche européen Horizon2020 « Urbinat ».

Ces différentes transformations de la ville dont le but est de renforcer la place des arts et des artistes dans l’espace à des fins de développement urbain ne sont pas sans risque de tensions. Elles peuvent susciter deux grands types de défis liés à l’appropriation de la ville :

  1. Le défi de la gentrification : Une confrontation peut apparaître entre les autorités publiques en charge des aménagements et les représentants de la société civile issues des quartiers populaires avec en arrière-plan le risque de gentrification de ces quartiers. La transformation de la ville par la culture et le focus appuyé sur les quartiers populaires par les aménageurs peuvent être perçus comme une politique publique conduisant in fine à une marginalisation accrue des classes les moins favorisées contraintes de quitter les lieux faute de revenus suffisamment élevés pour accéder à un marché de l’immobilier renchéri avec les programmes de rénovation urbaine et l’arrivée d’une population nouvelle au capital économique supérieur. Ce genre de tensions a pu exister par exemple à Matera.
  2. Le défi de la rencontre : La seconde confrontation est liée à la mise en contact de communautés différentes avec la mise en place de cheminement conduisant à la rencontre de touristes et de populations vernaculaires situées dans ces quartiers difficiles comme ce fut le cas à Marseille. Par ailleurs, des tensions peuvent apparaitre également entre les artistes et les populations locales.

Il n’est pas toujours facile de dépasser ces tensions et ces incompréhensions. Les artistes, et les lieux consacrés aux pratiques artistiques ouverts sur leur environnement urbain comme par exemple les tiers lieux culturels, peuvent créer des traits d’union dans la ville. Dans le cadre d’Esch-sur-Alzette, CEC en 2022, plusieurs tiers lieux culturels ont été ou seront créés pour dépasser les frontières socio-spatiales dans la ville. A Matera, l’Open Design School qui avait suscité des tensions initiales avec les classes populaires locales, a finalement pu être acceptée grâce à son ouverture sur l’environnement immédiat. Il est à noter par ailleurs que le champ artistique se décompose entre plusieurs segments dont celui des artistes de réputation nationale/internationale et celui dont la reconnaissance est plus ancrée dans les territoires locaux. Cette mobilisation de la sphère artistique locale peut être dans certains cas privilégiée comme par exemple lors de la création du centre culturel Faber installé dans une ancienne savonnerie de Timisoara, dans la mobilisation de l’association « Nous à Traian » dans un quartier difficile de la même ville roumaine ou encore dans l’élaboration du projet « Pont féérique » toujours à Timisoara. Le but affiché de ces initiatives est d’engager la participation des habitants issus de quartiers défavorisés dans des projets de réaménagement de lieux comme des places ou des ponts par la culture. Par ailleurs, de grands évènementiels liés à l’aménagement de l’espace urbain sont conçus dans une optique de rapprochement entre les planificateurs et les résidents à l’instar de la biennale d’architecture de Timisoara. L’économie de la culture soutenue par l’initiative Capitale Européenne de la Culture dans ces lieux réaffectés doit permettre de dépasser les frontières existantes et non pas d’en créer de nouvelles. A ce titre, les réseaux européens de Capitales Européennes de la Culture dans le domaine de l’économie créative et culturelle peuvent être centraux pour penser l’économie de la culture hors des murs. C’est le cas notamment du réseau "ECoC-SME: Actions for inducing SME growth and innovation via the ECoC event and legacy" (2019-2022) financé par le programme européen Interreg.

L’évaluation du développement urbain par la culture doit reposer sur des indicateurs à la fois quantitatifs et qualitatifs. Il apparait que les financeurs sont surtout en demande d’indicateurs quantitatifs. Cette évaluation demande un travail en amont assez précis et reposant sur le contexte de chaque Capitale Européenne de la Culture (CEC) dont la taille et l’histoire sont toujours particulières. L’évaluation est perçue comme un outil politique qui sert à mettre en valeur chaque CEC (communication / marketing) tout en étant un instrument déclenchant une réflexion amont sur les objectifs à atteindre et les moyens pour y parvenir. Il y a une attirance pour les indicateurs quantitatifs comme par exemple le nombre de personnes assistant à des spectacles, mais ces indicateurs ne sont pas toujours pertinents pour mesurer l’impact des projets culturels sur le quotidien des populations urbaines et leur rapport à l’Europe. Cela est difficile à faire comprendre à certains acteurs politiques et économiques, mais la valeur réelle de la culture, c’est-à-dire l’expérience, le ressenti, ce n’est pas chiffrable. On est dans l’ordre du rapport individuel et complexe aux œuvres culturelles et aux lieux qui les accueillent. Des entretiens semi-directifs peuvent constituer un moyen pour dépasser la difficulté de la quantification de la plus-value de la culture dans le développement urbain. Notons par ailleurs que dans le cadre de l’évaluation, on ne remonte pas les avis négatifs du territoire alors qu’ils sont importants pour faire évoluer la politique culturelle. De plus, il est nécessaire de faire des analyses sur le temps long pour mesurer l’impact de l’initiative CEC et notamment des études avant, pendant et après l’année culturelle pour cerner les changements apparus. On a besoin de 10 à 15 ans pour véritablement apprécier les changements liés aux politiques culturelles dans la ville.

Il manque un outil d’audit qualitatif européen pour le monitoring des CEC. Ce serait très utile et notamment pour des CEC établies à une échelle transfrontalière car la présence de la frontière rajoute une dimension dans la complexité de l’audit (différentes manières de concevoir l’évaluation de part et d’autre de la frontière, différentes autorités coordinatrices du monitoring…). Des projets disposant de financements européens de type Interreg et Horizon 2020 ont des indicateurs mobilisables pour mesurer l’impact des mesures prises par l’ensemble des acteurs impliqués. Il y a ensuite des évaluations par des centres culturels impliqués dans une multitude de partenariats. De plus, chaque projet s’appuie sur une évaluation en fonction de son contenu spécifique. On ne manque donc pas de procédures d’évaluation, mais au final l’expérience positive (ou négative) du fait culturel associée à des initiatives de type Capitale Européenne de la Culture requière une réflexion transversale sur l’observation des pratiques culturelles.