Atelier : "Inclusion Sociale"

en ligne, 22-23/04/2021


Dans le cadre du réseau européen Jean Monnet CECCUT (http://www.ceccut.eu), qui analyse l’initiative ECOC come outil de cohésion urbaine dans les espaces transfrontaliers, un atelier en ligne a été organisé les 22 et 23 avril 2021 avec des universitaires et des acteurs impliqués dans des projets culturels et transfrontaliers. L’objectif de ces sessions étaient de discuter autour des thématiques de l’inclusion sociale et de la culture dans un contexte (trans-)frontalier.

Les acteurs rassemblés ont tout d’abord mis en avant un certain nombre de bonnes pratiques relatives au processus d’inclusion sociale par la culture et dans une optique de dépassement des frontières urbaines et étatiques. La culture est un domaine central permettant aux personnes les plus en marge d’un point de vue générationnel, éducatif, professionnel, sanitaire ou communautaire d’être reconnus et actifs au sein de la société. Il apparait à travers les échanges que la présence de réseaux d’acteurs à l’échelle transfrontalière est une condition majeure pour s’assurer du montage de projets culturels s’adressant à des publics en difficulté. Ces réseaux sont à la fois des organisations de gouvernance politique et technique polyvalente à l’instar des GECT comme par exemple celui de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai entre la France et la Belgique ou encore celui d’Alzette Belval entre le Luxembourg et la France. Ces structures peuvent développer une fonction d’assembleur des forces vives à l’intérieur d’espaces urbains fracturés par des frontières étatiques. Dans certains cas, elles établissent même en leur sein des groupes institués de la société civile pouvant être force de proposition en matière d’inclusion sociale à l’instar du forum civil de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai. Par ailleurs, il faut compter avec les réseaux d’acteurs de la culture proprement dits comme par exemple les partenariats transfrontaliers associant des bibliothèques ou encore la collaboration entre centres culturels telle que celle élaborée par les 12 Maisons Folie du Nord Pas-de-Calais en France et de Wallonie en Belgique dès 2004. Ces réseaux transfrontaliers peuvent aider à déconstruire des stéréotypes associés à des minorités comme par exemple la communauté rom, les réfugiés, les LGBTQ+. Des réseaux matériels sont également signalés comme essentiels pour participer au désenclavement culturel de publics en difficulté dans la ville. Ainsi, dans la ville frontalière belge de Quaregnon à proximité de Mons, une passerelle autoroutière a permis de rapprocher les publics périphériques des lieux de culture.

Dans un deuxième temps, il est apparu que les programmes de financement européens Interreg sont des leviers majeurs pour encourager le montage de projets d’inclusion sociale par la culture dans un cadre transfrontalier. Ainsi, un projet d’inclusion par les arts s’adressant à plus de 200 jeunes aux parents absents, souffrant de handicaps, appartenant à la minorité Rom ou encore associés à un milieu pauvre, a été établi au sein de douze communes de la région transfrontalière entre la Roumanie et la Serbie à proximité de Timisoara. Ce projet sera repris dans le cadre de la Capitale Européenne de la Culture Timisoara2023. Toujours, dans cette même région, des initiatives plus individuelles sont prises pour relier les artistes et les populations situées dans les marges sociales et spatiales. Ainsi, un jeune artiste de la ville serbe de Novi Sad est invité chaque mois par les centres culturels créés dans les banlieues de la ville roumaine de Timisoara.

Les acteurs assemblés ont voulu également mettre l’accent sur le sens donné à l’inclusion sociale par la culture. Cette inclusion comme cela a été soulignée par les participants peut s’entendre comme un processus de participation active aux différentes manifestations artistiques et pas simplement comme une présence face à des œuvres et à des spectacles vivants. La participation permet d’élargir le champ social des populations en marge de la société. Par ailleurs, cette participation, qu’elle soit active ou plus passive demande un processus d’apprentissage. A travers ces apprentissages, il y a un transfert d’acquis artistiques, mais aussi des savoirs faire, des connaissances quant au rapport aux autres et la construction d’une plus grande confiance en soi mobilisables hors du monde des arts. L’inclusion sociale par la culture rend possible une meilleure cohésion sociale dans sa globalité et donne tout son sens à la démocratie participative et aux droits culturels. De fait, il y a potentiellement une difficulté qui s’ajoute en transfrontalier ou dans un contexte multiculturel quand on veut œuvrer pour cette cohésion sociale : la langue. Cela a été souligné notamment par les acteurs culturels de la région transfrontalière de Gorizia/Nova Gorica entre l’Italie et la Slovénie, future Capitale Européenne de la Culture, Go !2025 ainsi que par ceux situés au Luxembourg. Les projets culturels dans un souci d’inclusion sociale doivent traiter cette question linguistique. Cela peut être un sujet autour duquel se construit un projet comme par exemple lors de la Capitale Européenne de la Culture Luxembourg-Grande Région en 2007, voire même un programme culturel comme cela est le cas en Lettonie où réside une importante communauté russe.

Les participants de l’atelier ont souligné par ailleurs que les publics de l’inclusion sociale par la culture dans les espaces urbains et transfrontaliers sont très variés. L’inclusion doit s’adresser à tous même si on entend par inclusion sociale celle qui cible certains publics n’ayant pas accès à la culture en fonction de critères tels que l’âge, le handicap ou encore la situation socio-économique. A cela s’ajoute l’échelle territoriale à laquelle on souhaite mettre en place des projets d’inclusion pour ces publics particuliers. On touche des publics cibles en apportant la culture dans leur espace de proximité comme cela a été par exemple le cas avec le projet « Grand 8 » dans le cadre de la Capitale Européenne de la Culture Mons2015 ou à Timisoara, Capitale Européenne de la Culture en 2023, ville dans laquelle plusieurs centres culturels à la jeunesse ont déjà été ouverts dans les faubourgs en 2019 avec l’appui du service volontaire européen et des populations locales. Des initiatives du même type ont été conduites à Esch-sur-Alzette, Capitale Européenne de la Culture 2022, avec notamment la Nuit de la Culture ou encore dans l’Eurométropole franco-belge Lille-Kortrijk-Tournai avec le festival Next. Cependant, comme aiment à le dire les acteurs de la culture, il ne faut pas oublier non plus de faire sortir les publics de leur quartier. L’inclusion sociale par la culture dépend en grande partie de la mobilité dans la ville pour accéder à la culture.

Parallèlement à cela, cet accès à la culture dans la proximité ou dans l’espace urbain élargi, demande la présence de projets dont les contenus sont eux-mêmes accessibles. Parfois, si on veut atteindre un public cible loin de la culture et dans une démarche d’inclusion sociale, il faut laisser de la place à l’improvisation et apporter un soin particulier à la dimension ludique du projet surtout si on veut toucher les jeunes qu’il est difficile d’atteindre en dehors du cadre obligatoire de l’école. Les enfants scolarisés peuvent constituer par ailleurs des ambassadeurs de la culture en y amenant leurs parents. Ainsi, pendant la Capitale Européenne de la Culture Lille2004, on a incité les jeunes scolarisés à venir assister à des spectacles avec leurs parents en leur offrant une place gratuite. Si on veut toucher des personnes âgées, les problématiques sont bien sûr très différentes. Leur exclusion du monde de la culture est liée à leur manque de ressources et souvent aux problèmes de motricité. On doit alors amener la culture au plus près de chez eux et parfois dans une démarche d’augmentation de cette motricité à une échelle très locale comme ce fut le cas à Timisoara avec le festival des arts de rue. Sans compter que la participation des aînés à des projets culturels peut s’entendre comme une stratégie de mobilisation de leur mémoire afin d’éclairer l’histoire des territoires comme par exemple avec le projet « Firing Places » lié à la redécouverte de la région culturelle transfrontalière de la Banat située entre la Roumanie, la Serbie et la Hongrie. D’autres publics ont peu d’accès à la culture à cause de leur éloignement géographique et de l’amplitude de leur temps de travail, c’est le cas notamment des agriculteurs auxquels on ne pense pas toujours comme public de la culture dans les marges urbaines.

Mesurer l’inclusion sociale par la culture est le dernier thème abordé par les participants de l’atelier. Il y a un accord général pour que l’évaluation de cette inclusion doit reposer sur des instruments communs parmi les différentes équipes associées et ce, notamment dans les espaces transfrontaliers. Ces instruments sont liés à des objectifs définis en amont et prenant appui sur un diagnostic territorial en termes d’inclusion sociale. Les indicateurs choisis peuvent être quantitatifs (par exemple sur l’âge, le profil, la fréquence des participants, leurs préférences). Ces derniers permettront alors de définir des activités sur mesure. Une programmation de type Capitale Européenne de la Culture demande à ce que les coordinateurs définissent un monitoring. Ce monitoring peut avoir une dimension transfrontalière lorsque ces Capitales s’appuient sur des projets à cheval sur les frontières étatiques. Certains territoires ont voulu développer des observatoires culturels transfrontaliers pour cerner la transformation du territoire sous l’effet d’une politique ambitieuse. Cela n’est pas toujours simple comme cela a été expérimenté à Esch-sur-Alzette car la comparabilité des données à l’échelle transfrontalière n’est pas toujours aisée quand on passe d’une source statistique à l’autre. De fait, c’est avant tout sur le moyen et long terme qu’on peut vraiment apprécier les changements comme cela a été souligné par les participants venant de Lille et d’Esch-sur-Alzette. Il faut donc une continuité dans le monitoring, une fois que des programmations annuelles de type Capitale Européenne de la Culture s’achèvent. Cela nécessité une volonté politique et des moyens financiers tant pour collecter des données quantitatives que qualitatives (les témoignages, les paroles d’expert, les récits sociologiques, la collecte de données autres que narratives comme l’expression sensorielle ou le langage artistique comme souligné par l’association Pollen…). Ce monitoring peut s’appuyer sur un réseau durable d’artistes. Dans certains cas, comme par exemple à Quaregnon, à proximité de Mons, ce monitoring s’est inscrit dans le cadre d’une stratégie de participation citoyenne. L’évaluation n’est plus alors simplement une mesure des résultats atteints, mais un objectif à atteindre pour assurer l’inclusion sociale par la culture. Des cadres d’évaluation très intéressants sont proposés par l’Unesco ou encore par l’Institut du Capital Culturel (Université de Liverpool et Université John Moores de Liverpool).